Cette espèce est considérée comme la plus étendue en latitude de tous les
poissons d'eau douce d'Amérique du Nord. Cela vous surprend hein! Alors comment
se fait-il qu'on n'en entend jamais parler, qu'on en connaisse si peu sur sa
biologie et qu'il soit si difficile de trouver un photographe qui possède un
cliché de ce spécimen dans sa collection? Même moi, je me considère du
groupe des béotiens. Les quelques rencontres que j'ai eues avec ce beau poisson
ne m'ont apporté que très peu d'information et aucune photo, la turbidité de
l'eau étant trop forte. Par contre, malgré cette vision éclair, j'ai pu
immédiatement identifier cet achigan blanc. Je l'avais ainsi surnommé à cause
naturellement de sa ressemblance avec ce dernier et de sa couleur pâle.
L'erreur est pardonnable car il a réussi à se faire passer pour un achigan à
petite bouche lors d'un tournoi de pêche dans le lac Ontario en 1964. Avec un
poids de 5.2 kg., il avait alors remporté le concours et battu un record.
En fait, le malachigan n'est pas si difficile que cela à identifier. Il faut
d'abord préciser un point: ce n'est pas un achigan et il n'a aucun lien de
parenté avec ce dernier. Il fait partie de la famille des Tambours (Scianidae)
dont il est le seul représentant sur 160 dans nos eaux canadiennes. Pourquoi
Tambours? Lorsque vous aurez entendu le son qu'il émet en utilisant sa vessie
natatoire comme chambre de résonance, vous aurez la réponse. Il paraîtrait
que ce poisson aurait déjà atteint des tailles respectables de 46 kg dans
l'antiquité, soit 6000 ans avant J.C. Cet estimé peut être considéré comme
juste, puisqu'il est basé sur la découverte d'otolithes1 trouvés
dans les tas d'ordures de sites de campements amérindiens. Aujourd'hui. quand
ce seigneur atteint 6.3 kg, il est considéré énorme car la taille moyenne se
situe aux alentours de 1.8kg.
Sa coloration n'a rien de bien particulière: le dos va du vert foncé au
brun olive, les flancs sont argentés et le ventre ordinairement blanc de même
que les nageoires pelviennes et pectorales. Sa forme générale ressemble un peu
à celle de l'achigan mais une bosse caractéristique, un peu comme celles des
bisons, aide à son identification. Ce qui est distinctif chez lui, mais non
apparent pour le plongeur, c'est qu'il est le seul poisson d'eau douce avec
plusieurs cavités dans les os du crâne. Cela vous laisse indifférent je
suppose? Revenons alors à son apparence extérieure. Sa petite bouche,
surplombée d'un museau obtus ne lui laisse pas grand choix pour son mode
d'alimentation. Il doit fouiner sur le fond à la recherche d'insectes
aquatiques lorsqu'il est jeune, et plus tard, il les remplace par des
mollusques, limaces, phyriganes et amphypodes auxquels s'ajoutent à l'occasion
des ménés, des dards et des écrevisses.
Le malachigan n'a presque pas d'ennemis naturels, son armure composée de
lourdes écailles le protègent efficacement, même contre les attaques de
lamproies marines2 présentes en grand nombre dans le lac Érié. Les
autres grandes nappes d'eau qu'il fréquente sont le lac Champlain, le
St-Laurent et la rivière Outaouais pour notre province, mais sa distribution va
jusqu'en Saskatchewan.
Comme je l'ai mentionné au début, malgré sa grande répartition
géographique, on ne connaît que très peu son cycle biologique. Il fraierait
au mois de juillet malgré qu'on ait capturé en septembre des femelles qui
venaient de pondre. Où vont-ils se reproduire? Possiblement sur un fond de
sable ou de vase, jusqu'à une profondeur de 2 mètres. Les oeufs sont uniques
parmi ceux des poissons de l'Amérique du Nord en ceci qu'ils sont pélagiques
et flottent à la surface. Ce n'est qu'au bout de 25 à 30 heures à une
température de 22° que l'oeuf éclora. Après ce stade, seule l'espèce sait
ce qui se passe (d'après Scott et Crossman).
Peut-être que ce sera un plongeur curieux ou chanceux qui pourra un jour
compléter l'historique de ce poisson unique des eaux douces.