L'eau me vient a la bouche à la seule idée d'écrire un article sur ce
délicieux bivalve. Peut-être la connaissez-vous mieux sous son nom historique
datant du temps des Croisades, la coquille St-Jacques. Les pèlerins qui se
rendaient à St-Jacques de Compostelle accrochaient à leur vêtement une
coquille d'une espèce européenne qui a gardé par la suite le nom de coquille
St-Jacques.
Mais revenons au temps présent et examinons de plus près ce mollusque qui
fait le délice des gourmets et suscite la curiosité des plongeurs. Le
pétoncle géant vit uniquement en eau salée et au Québec, on le retrouve
principalement en Gaspésie. Il possède deux valves ou coquilles de forme
arrondie et de diamètre presqu'égal reliées par une "penture"
scientifiquement appelée charnière. La coquille supérieure a une teinte
rougeâtre chez l'adulte tandis que chez les jeunes, les coloris plus délicats
sont teintés de rayons roses et blancs. À la profondeur où on retrouve
habituellement le pétoncle soit 15 à 20 mètres, ces teintes seront assez
fades mais si vous plongez dans le but d'observer ces spécimens, une lampe de
plongée sera nécessaire. Vous apercevrez ça et là sur un fond de sable ou de
gravier ferme de petites excavations au centre desquelles repose une assiette
renversée, ce sont vos pétoncles. Approchez-vous lentement sans les éclairer
directement car alors les deux valves entrouvertes se refermeront immédiatement
et vous qui aimez les bleus venez de rater votre chance. En effet, quand on
parle d'avoir des yeux tout le tour de la tête, le pétoncle bat tous les
records. Trente-cinq petits yeux bleutés situés tout le long du rebord interne
de la coquille vous regarde venir sans vraiment vous voir puisqu'ils ne sont
sensibles qu'a la lumière. De nombreux tentacules sensoriels situés parmi ces
yeux perçoivent les vibrations de l'eau et feront contracter le gros muscle
rond relié aux deux coquilles qui se refermeront immédiatement. C'est aussi en
contractant ce puissant muscle que les jeunes pétoncles de moins de 10 cm se
déplaceront comme des papillons en claquant leurs valves. Ce mouvement éjecte
l'eau par le coin de la charnière permettant une propulsion par mouvements
saccadés sur une distance de 3 à 4 mètres à 1 mètre du fond. Si les
conditions de température et d'alimentation sont favorables, vous pourriez
alors vous retrouver sur un banc de plusieurs centaines d'individus et de plus,
si c'est une zone non exploitée commercialement, certains de ces mollusques
peuvent être âgés de 20 ans. L'âge d'un pétoncle est déterminé de la
même manière que sur un arbre. Il s'agit de compter les anneaux de croissance
sur la coquille, chaque section foncée représentant un an. Tout au long de
leur vie, ces mollusques se nourrissent de plantes et d'animaux microscopiques
présents dans l'eau qui passent par leur système de filtration. Si par hasard
vous y voyez un petit poisson se faufilant entre ses coquilles, ce n'est pas une
exception à son menu, mais plutôt un visiteur opportuniste qui y trouve refuge
sans que le pétoncle n'en soit pour autant affecté.
Parlons reproduction, si on veut en manger il faut bien que ça arrive une
fois de temps en temps. Ce n'est qu'à la fin du printemps soit au début de sa
maturité que le pétoncle saura s'il doit porter la culotte ou bien être
maîtresse de maison. Avant cette période, les différences sexuelles ne sont
pas apparentes puisque les glandes génitales ne sont pas encore développées.
Dès que le mois de juin s'amorce, ces glandes prendront la forme d'un rein de
couleur rouge corail chez la femelle et crème chez le mâle. Puis vers la fin
août, la femelle libère dans l'eau des oeufs microscopiques (.08mm) qui sont
ensuite fécondés par le sperme des mâles. À l'état de larves pendant 3
semaines, ces jeunes seront bercés au gré des courants parfois sur de longues
distances. De la grosseur d'une tête d'épingle, les larves se dotent alors
d'un pied qui produit un byssus; c'est le début d'une vie sédentaire. S'ils ne
sont pas attaqués par les étoiles de mer, les bigorneaux perceurs, les
crustacés, la morue, la plie et le poisson-loup, ils peuvent espérer vivre
jusqu'à 5 ou 7 ans sans être dérangés par l'Homme puisque c'est à ce stade
qu'ils atteignent leur grosseur commerciale. Par contre, si le pétoncIe est
trop vieux sa chair sera de mauvaise qualité dû à l'effort constant qu'il
aura dû fournir pour réparer sa coquille rongée par des vers perceurs ou des
éponges.
Donc, si vous voulez un bon lunch, recherchez les spécimens de plus de 5 ans
à la coquille saine. Le meilleur temps de récolte: fin août ou début
octobre, car à ce moment les glandes génitales appelées corail seront à leur
plein développement. Pourquoi? Tout simplement c'est que cette partie du
pétoncle est un délice lorsque frit dans la poêle au même titre que le
muscle central si connu. Certains mangent ce muscle cru, mais fraîchement sorti
de l'eau et encore mouvant, cela donne une impression plutôt désagréable dans
la bouche. Peut-être que j'aurais dû attendre qu'il soit mort... J'ai quand
même apprécié un vrai festin par la suite puisqu'en mangeant presque tout
l'intérieur d'une coquille soit le muscle, le corail et les yeux: c'est
l'équivalent de 3 pétoncles sur une table de restaurant. Je vous jure
qu'après une entrée de ce genre, la morue fraîche faisait presque piètre
figure. Elle a dû attendre que notre appétit revienne. C'est dommage que seul
le muscle central soit commercialisé en Amérique du Nord car les gourmets
apprécieraient le fin goût du corail.
Même si le pétoncle n'est pas l'animal le plus grouillant ou le plus
attrayant de nos eaux cela vaut la peine d'aller s'asseoir quelques instants sur
un banc de coquilles St-Jacques et de contempler de plus près ces petits yeux
bleus aux paupières de calcaire qui semblent vous observer de toute part.