Ce phoque très répandu le long des côtes de la Baie de Gaspé a toujours
suscité l'intérêt des touristes plongeurs ou non. Combien de fois a-t-on
rêvé, et moi la première, de se promener côte à côte avec l'un de ces
mammifères marins. Leur regard si doux, publicisé par les magazines et
Brigitte Bardot, nous a amené à les prendre en pitié et à leur attribuer
plusieurs qualités souvent contestées par les pêcheurs commerciaux.
Cependant, lorsqu'on a la chance de voir ces magnifiques petites bêtes à la
tête ronde et au nez légèrement retroussé, on a vite le goût d'enfiler
notre "wet suit" et de sauter à l'eau pour aller nous balader en leur
compagnie. Mais désillusionnez-vous; étendus sur leur roche plate se chauffant
au soleil, ils laissent croire qu'ils ne sortiront jamais de leur somnolence.
Cette nonchalance n'est que simulée, ils gardent continuellement un oeil sur le
visiteur que vous êtes et se tiennent prêts à se glisser à l'eau s'il
sentent que la distance entre vous et eux semblent un peu trop réduite.
Les phoques communs sont curieux et lorsqu'une embarcation avance lentement
vers une colonie, on les voit se mettre à l'eau et sortir la tête à deux ou
trois mètres de celle-ci pour examiner l'intrus qui se glisse vers leur
tranquillité. Ça et là deux ou trois têtes surgissent en même temps. Si
vous ménagez vos mouvements, vous aurez tout le loisir de les photographier.
Une des principales caractéristiques de l'espèce est la forme en "V"
de leurs narines lorsqu'on les voit de face. Chez les phoques gris elles forment
plus un trait horizontal. Les adultes, qui resteront étendus sur la plage ou
leur roche plate, vous examineront en dressant la tête et les nageoires
arrières. Du fait qu'ils se tiennent souvent sur le côté, cela leur donnera
l'aspect d'une banane... de 100 kg. La coloration de leur pelage varie du gris
sombre au jaune terne, irrégulièrement moucheté de taches noires ou brunes.
Les couleurs sont généralement plus claires sur le ventre, et chaque individu
possède son propre patron de coloris.
Quand la faim le tenaille, le phoque rentrera à l'eau à contrecœur, à la
recherche de poissons, principale base de son alimentation. Il semblerait qu'il
consomme l'équivalent de trois à six fois son poids quotidiennement, pouvant
même descendre jusqu'à 100 m. pendant 30 minutes pour s'en procurer. Il est
aussi très opportuniste et ne se gênera pas pour dévorer des casiers à
homards ou des poissons pris dans des filets causant ainsi des dommages non
négligeables aux engins de pêche.
REPRODUCTION
Durant la saison des amours de longs chants plaintifs se font entendre sur le
littoral. Les femelles de trois ans ou plus ne peuvent résister à l'appel
d'amour des mâles de six ans ou plus. Les adultes s'accoupleront à partir de
juin ou juillet, mais le foetus ne commencera son développement qu'à la
mi-septembre. Ce n'est que huit mois plus tard que la femelle donnera naissance
à un seul petit, et sera une mère très attentionnée. J'ai eu la chance un
jour de voir un jeune phoque âgé d'à peine 24 heures. À notre approche, la
femelle incitait son petit à descendre de sa roche. Ce n'est qu'après
plusieurs minutes de braillement qu'il s'est décidé à se jeter à l'eau. La
femelle voyant que nous étions trop curieux l'a saisi par la peau du cou et l'a
amené sous l'eau pour ne ressortir que cinquante mètres plus loin à l'abri du
danger. Par les jours de grands vents elle l'abritera des vagues en le tenant
devant elle entre ses nageoires antérieures. Si elle doit parcourir plusieurs
kilomètres elle le portera sur sa poitrine en le serrant dans ses nageoires.
Par temps calme les jeunes folâtreront dans les trous d'eau à la recherche de
leur première nourriture solide, composée de petits crustacés. Une bonne
tétée de lait complétera leur menu. Après un mois de ce régime, il aura
doublé son poids et pèsera environ 20 kg. Si le phoque survit à ses
prédateurs, tels l'orque/épaulard et les requis, il pourra espérer vivre en
moyenne 20 ans ou même jusqu'à 29 ans.
Le phoque commun porte bien son qualificatif, car en plus de fréquenter les
eaux du Golfe, on le retrouve suries côtes Arctiques et dans l'océan
Pacifique. Il lui arrive aussi de remonter en eau douce car j'ai découvert un
adulte mort sur la grève dans la région de Montréal près de l'Aquarium.
Certaines petites colonies passeraient même une bonne partie de leur temps dans
les lacs du Nord du Manitoba. Ces phoques d'eau douce sont alors appelés Loup
Marins.
Le phoque commun ne serait pas vraiment recherché pour sa fourrure;
l'espèce n'étant donc pas menacée, augmente de ce fait considérablement sa
population d'année en année au désespoir des pêcheurs côtiers.
Il faudra éventuellement selon les statistiques rouvrir une saison de chasse
pour éviter la surpopulation et la contamination possible des poissons de fond
vivant dans les régions occupées par d'importantes hordes. Il en restera
toujours suffisamment cependant pour que nous ayons le loisir d'observer leurs
ébats sur les plages de sable ou pour nous faire rêver d'avoir un jour un
compagnon de plongée capable de nous accompagner lors de nos randonnées
sous-marines, comme un chien le ferait sur terre.